Simulation numérique du soudage d’une liaison bimétallique dans le cadre d’un benchmark EDF-CEA-AREVA
C. Mang (EDF / R&D / IMSIA) ; S. Hendili, V. Robin, J. Delmas (EDF / R&D / PRISME)
Projet de l’institut tripartite CEA-EDF-AREVA
Le soudage intervient dans de très nombreuses opérations de fabrication et de réparation. L’anticipation des conséquences métallurgiques et mécaniques résultant d’une opération de soudage est un enjeu crucial pour le CEA, EDF et AREVA. Afin de répondre à cet objectif, le projet « Modélisation et Simulation Numérique du Soudage » (MSNS) a été créé au sein de l’institut tripartite (I3P), il a pour objectif d’étudier la problématique du soudage sous les trois aspects complémentaires que sont essai, modélisation et simulation numérique.
Pour permettre aux ingénieries et entités opérationnelles de réaliser des études et des développements fiables, simples sans conservatismes excessifs, il est nécessaire d’améliorer les critères et modèles existants, en suivant trois axes :
- Développer des méthodes et des critères permettant de se prémunir des défauts possibles de soudage et qui soient adaptés aux besoins. Calculer les déformations et les contraintes résiduelles dues au soudage avec la meilleure précision.
- Produire de la connaissance permettant d’affiner les modèles et de mieux appréhender les différents mécanismes de fissuration à chaud et à froid. Ceci passe également par la réalisation d’essais instrumentés sur maquettes et d’expertises métallurgiques afin de valider la représentativité de ces modèles et de s’assurer de leur transposition sur composant.
- Fournir des outils de calcul numérique performants et innovants (typiquement les éléments cohésifs et X-FEM, des techniques permettant la mise en place d’abaques numériques), en support aux travaux de R&D et d’expertise, voire dans certains cas pour une utilisation directe par les ingénieries dans les dossiers.
Le lot 3 du projet MSNS s’intéresse particulièrement au calcul des déformations et contraintes résiduelles pour permettre d’optimiser la fabrication et d’améliorer leur prise en compte dans les analyses d’intégrité (fatigue, corrosion sous contrainte, rupture brutale). Ce lot a trois objectifs :
- améliorer l’efficacité des logiciels de calcul (code_aster, SYSWELD, CAST3M) ;
- établir un guide de bonnes pratiques de modélisation ;
- produire des profils types de contraintes résiduelles plus réalistes que les profils enveloppes actuellement codifiés pour les analyses d’intégrité.
Pour répondre à ces objectifs, un benchmark sur la liaison bi-métallique du projet européen ADIMEW (Accessment of aged piping DIssimilar MEtal Weld integrity) a été effectué par les trois partenaires.
Choix de la liaison bi-métallique ADIMEW
Les Liaisons BiMétalliques (LBM) permettent, entre autres, d’assembler les gros composants en acier ferritique revêtu avec les tuyauteries en acier inoxydable austénitique du circuit primaire principal des Réacteurs à Eau Pressurisée (REP). C’est une liaison particulièrement contrôlée au stade de la fabrication car son caractère non "ruptible" doit être démontré pour la durée de vie en service de l’installation. La réalisation de cet assemblage implique des opérations successives permettant d’assurer une bonne soudabilité des matériaux, avec un premier beurrage de la partie en acier ferritique revêtue puis le remplissage du chanfrein entre le beurrage et un embout en acier inoxydable austénitique. Une dernière opération appelée Traitement Thermique de Détensionnement (TTD) est réalisée au stade final de la fabrication afin d’améliorer la ductilité des zones affectées thermiquement (ZAT). Cette étape joue aussi un rôle sur la redistribution des contraintes résiduelles.
Dans le cadre de l’institut tripartite, il a été décidé de s’intéresser plus particulièrement à cette famille de soudure qui concentre les problématiques de fabrication et de tenue en service. La LBM de la maquette ADIMEW est une liaison à chanfrein large en « V ». Elle est représentative des liaisons des paliers 900 et 1300 MWe et représentative géométriquement de celles des paliers N4 avec métal d’apport en alliage base nickel. Le choix de simuler la fabrication de cette maquette a été motivé par sa représentativité au regard des soudures du parc nucléaire français et de la disponibilité de nombreuses données expérimentales.
Cette LBM est constituée d’un premier tube en acier inoxydable austénitique AISI 316L et d’un second tube en acier ferritique A508 (équivalent au 16MND5) sur lequel est déposée une couche de beurrage en acier inoxydable austénitique 308L et 309L. Le remplissage du chanfrein est réalisé par 96 passes de soudage en acier inoxydable austénitique 308L.
Au cours du projet ADIMEW, des mesures expérimentales de contraintes résiduelles ont été obtenues par diffraction neutronique et par la méthode du trou. Dans cette étude, nous considérons uniquement les mesures par diffraction neutronique. Ces mesures ont été réalisées dans l’épaisseur de la tuyauterie, à différentes profondeurs. La figure 2 illustre les résultats de mesure de déformations circonférentielles obtenues par diffraction neutronique.
Paramètres de simulation
La simulation du soudage multi-passe de la LBM ADIMEW avec code_aster est constituée d’un calcul thermique transitoire non-linéaire suivi d’un calcul mécanique quasi-statique non linéaire. Ces deux calculs sont réalisés avec un modèle 2D axi-symétrique.
Deux maillages ont été considérés pour la réalisation des calculs : un maillage pour le calcul thermique constitué de 10389 éléments linéaires dont la taille de maille est de 1 mm dans le métal d’apport (Figure 3) et un maillage pour le calcul mécanique avec 2865 éléments quadratiques dont la taille de maille est de 3 mm dans le métal d’apport. Ces deux maillages ont été réalisés par le CEA avec les outils de la plateforme SALOME.
L’ensemble de la simulation thermo-mécanique a été réalisé en considérant les données matériaux de l’acier 316L pour décrire le comportement du métal d’apport de composition chimique proche (308L et 309L). Sous cette hypothèse, la LBM est constituée de deux matériaux : l’acier inoxydable austénitique 316L et l’acier ferritique 16MND5. Les paramètres matériaux, thermiques et mécaniques sont issus de la base de données établie en collaboration avec AREVA dans le cadre d’un programme R&D à l’INSA de Lyon (base BIFE).
L’apport de chaleur engendré par l’opération de soudage est modélisé par une source thermique équivalente, appliquée lors du calcul thermique. Plus précisément, on considère une source de chaleur volumique dont l’intensité varie au cours du temps en suivant une fonction triangulaire. Les paramètres de cette fonction sont obtenus par recalage à partir de courbes de température mesurées autour de la passe 49 située en milieu de chanfrein. Cette étape de recalage est réalisée avec le module ADAO de Salome-Meca. L’accord entre les courbes mesurées et les courbes simulées a été vérifié.
En plus de la source de chaleur, on considère, pour le calcul thermique, des conditions classiques d’échange avec l’extérieur de type convection et rayonnement.
Les résultats du calcul thermique sont utilisés comme données d’entrée pour le calcul mécanique. Ce calcul est réalisé en considérant la loi de comportement élasto-plastique de von Mises à écrouissage isotrope non linéaire (loi VMIS_ISOT_TRAC). Les paramètres de cette loi de comportement sont obtenus à partir de courbes de traction. Des conditions de bridage minimal sont appliquées aux extrémités de la LBM. Une température de coupure est appliquée à 1400°C afin d’annuler les déformations thermiques au-delà de la température de fusion. Le phénomène de restauration d’écrouissage à l’état liquide est pris en compte en annulant la déformation plastique cumulée pour des températures supérieures à la température de fusion (mot-clé REST_ECRO de la commande STAT_NON_LINE).
Résultats
Les mesures par diffraction neutronique ont été réalisées dans l’épaisseur du tube à différentes profondeurs : 4,25 ; 12,75 ; 21,25 ; 29,75 ; 38,25 et 46,75 mm de la surface externe. Les comparaisons des résultats sont réalisées sur les profils de contraintes et de déformations résiduelles aux mêmes emplacements que les mesures réalisées par diffraction neutronique durant le projet ADIMEW. Ces emplacements correspondent aux lignes L1 à L6 présentées en figure 4.
Comme le montre la figure 5, l’accord qualitatif entre les résultats de calcul et les mesures expérimentales est satisfaisant. Néanmoins, sur le plan quantitatif, il existe des écarts qui s’expliquent par le fait que certaines étapes du procédé ne sont pas prises en compte (usinage après le dépôt du beurrage et le TTD). Par ailleurs, on note que des améliorations sont possibles en utilisant une loi de comportement plus représentative et en activant la restauration d’écrouissage à l’état solide (évolution récente de REST_ECRO).
La comparaison qualitative des champs résiduels montre un bon accord entre les trois partenaires.
Conclusions et perspectives
L’accord qualitatif des résultats est satisfaisant pour la simulation menée avec code_aster. L’accord des résultats est également satisfaisant entre les partenaires même si quantitativement il subsiste des écarts explicables par des légères différences dans les choix de modélisation.
Afin d’améliorer les résultats, il est prévu dans la suite de ce benchmark de simuler les étapes d’usinage et de traitement thermique de détensionnement. Ces étapes ont jusqu’ici été négligées pour simplifier la simulation. Cela permettra d’obtenir des champs de contraintes (et de déformations) résiduelles à un stade du processus de fabrication équivalent à celui où ont été réalisées les mesures par diffraction de neutrons.
Remerciements
Les auteurs remercient O. Doyen, H. Pommier et C. Berthinier (CEA) et E Jourden (AREVA NP) qui ont participé à ce benchmark.