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Modélisation non-linéaire d’un barrage soumis à des mouvements géologiques importants

R. Tajetti (EDF / DPIH / CIH) ; P. Morénon (Université de Toulouse / LMDC)

Contexte

L’ouvrage étudié est un petit barrage en béton et maçonnerie d’environ 24 mètres de hauteur sur fondation et 17 mètres de largeur, composé de trois passes fermées de vannes. En rive gauche, un mur en maçonnerie permet de barrer la vallée et l’entonnement vers une prise d’eau (Figure 1).

Figure 1 : Vues de l’ouvrage

Construit en 1935, le barrage a fonctionné quelques années sans désordre majeur. Dans les années 1970, des fissurations et le coincement de certaines vannes ont été observés, ce qui a conduit à la réalisation de butons dans chacune des passes dans le but de maintenir leur gabarit. Ces resserrements ont pour origine un mouvement géologique de grande ampleur et ces butons n’ont permis de ralentir le phénomène que temporairement.

Problématique

À partir des années 1990, la mise en place d’un dispositif d’auscultation a permis de quantifier les mouvements constatés : environ 3 mm/an (Figure 2).

Figure 2 : Déplacements auscultés de l’ouvrage

Au début des années 2010, les coincements de plus en plus fréquents des vannes conduisent à l’étude de solutions de reconstruction totale ou partielle de l’ouvrage. Devant les difficultés de garantir la pérennité d’un ouvrage reconstruit à neuf, les solutions de rénovation de l’ouvrage existant ont été privilégiées avec pour objectif de prolonger sa durée de vie de quelques années ou décennies.

L’étude de ces solutions nécessitait d’abord de comprendre les mécanismes à l’œuvre dans cet ouvrage, pour déterminer quelles actions pourraient améliorer son comportement. Par ailleurs, une rénovation du vannage étant indispensable, il était également nécessaire pour le dimensionnement des vannes de pouvoir prédire les resserrements des passes attendus dans les prochaines années. Pour cela une modélisation éléments finis a été réalisée avec code_aster (Figure 3).

Figure 3 : Maillage utilisé et condition aux limites imposée

Simulations numériques

En plus des chargements usuels en force (pesanteur, pression hydrostatique), le mouvement géologique est modélisé par un déplacement imposé des frontières du modèle.

La loi de comportement élastique mise en œuvre en première approche a rapidement montré ses limites lors du calage des déplacements du modèle sur l’auscultation. L’insertion d’éléments joints (JOINT_MECA_FROT) s’est donc révélée nécessaire pour modéliser le cisaillement constaté à la base de certaines piles de l’ouvrage (Figure 4). Cette loi de comportement développée à l’origine pour la modélisation des contacts barrage-fondation, permet de simuler un frottement de type Mohr-Coulomb.

Figure 4 : Cisaillement à la base de la pile

Bien que certains mécanismes d’endommagement aient pu être pris en compte dans ce modèle par une dégradation du module d’élasticité, l’analyse des contraintes montrait une large zone du radier sollicitée au-delà des résistances du béton. La prise en compte de l’endommagement de cette zone pouvant potentiellement modifier les résultats calculés au niveau des vannes, un modèle d’endommagement a été mis en œuvre (ENDO_PORO_BETON). Cette loi de comportement non-linéaire élasto-plastique endommageable a été développée conjointement par la R&D, le CIH (Centre d’Ingénierie Hydraulique) et le Laboratoire Matériaux et Durabilité des Constructions (LMDC) de Toulouse (avec les travaux de thèse de P. Morénon). Elle met en œuvre un endommagement anisotrope en traction (critère de Rankine) et un endommagement de compression-cisaillement prenant en compte le confinement multi-axial (critère de Drucker-Prager).

Les paramètres de la loi de comportement ont été obtenus par calage sur les résultats d’essais triaxiaux de laboratoire réalisés par le CEMETE/Polytech Lille sur des carottes extraites de l’ouvrage.

Les éléments joints à la base des piles sont conservés dans ce modèle car ils permettent de mieux localiser la rupture.

Le calcul est mené avec un pas de temps annuel et consomme environ 15 min par année (avec 8 processeurs). Le maillage comprend 105 000 éléments linéaires.
Une des principales difficultés de ce type de calcul en déplacements imposés, est d’identifier la date de départ du phénomène, l’auscultation ne donnant que le comportement récent de l’ouvrage. Pour cette étude, cette date a pu être estimée :

  • par la comparaison des endommagements visibles et prédits par le modèle à différentes dates,
  • par la comparaison des non-linéarités sur les déplacements du modèle et de l’auscultation,
  • par la réalisation d’essais de sur-carottage dans le radier pour estimer les contraintes in-situ.

Résultats obtenus

Les lois de comportement utilisées ont permis de reproduire la quasi-totalité des désordres constatés sur l’ouvrage (Figure 5) et d’apporter des explications à certains déplacements contre-intuitifs comme le déplacement vers l’aval de la pile n°3.

Des simulations sont actuellement menées pour évaluer l’effet de la suppression ou du confortement de certains butons sur le comportement global et pour estimer les resserrements à prévoir au niveau des vannes dans une but de dimensionnement.

La solution privilégiée à ce jour est un renforcement des butons des deux passes les plus grandes associé à la fragilisation des butons de la petite passe rive gauche. La vanne de cette passe serait sacrifiée pour garantir la manœuvrabilité des deux autres.

Figure 5 : Comparaison des endommagements calculés et constatés